Suite à sa sortie en BR, rapide retour sur le titre d’Ishirō Honda.
Souvenir-écran, comme disent les psys, et triplement : le film de genre, art commercial permettant la contrebande politique (Scorsese), donne enfin corps – et lequel ! – au passé proche mais évanoui, dont ne restent que des signes (malformations d’enfants à naître) et des traces (bouleversant pochoir sur les murs irradiés, écho moderne des peintures rupestres), convoquant une antiquité mythique propre à l’Archipel. La créature atomique, très jungienne, surgit de l’inconscient collectif autant que des profondeurs nippones, produit de la science contemporaine et de la culture insulaire, entre animisme marin (magnifié par la Gran Mamare de Miyazaki pour Ponyo sur la falaise, lien possible avec notre Poséidon) et terreur atavique de la submersion. Godzilla, symbole du joujou mortel d’Oppenheimer, permet, à sa façon, de faire advenir L’Image manquante du désastre, quête métaphysique et pornographique poursuivie par Claude Lanzmann et Rithy Panh : le film catastrophe, alimenté au fantasme et à l’obscène, donne à voir ce qui excède la représentation, se refuse violemment à la formule (nucléaire) narrative, et de surcroît avec une joie sauvage.
Ici, la fin du monde réjouit le spectateur, pas seulement par la poésie du costume ou des maquettes, moins méta que chez Schoedsack et Cooper sacrant King Kong, bien moins érotique, aussi, mais placée à un même niveau (au-dessous de la ceinture) sexuel. Le climax de la destruction capitale (ville et nation, humanisées dans la population « ordinaire » et spéculaire du public des salles vraiment obscures, aveuglé par l’explosion de la boîte de Pandore bientôt ouverte par Aldrich En quatrième vitesse) porte bien son nom, éjaculation visuelle pour un gai génocide, mise en scène artisanale d’un holocauste fastueux – sous l’hommage poignant, joie d’exterminer ; sous la docu-fiction, fascination du sacrifice (en chasseur Zéro mais pas que). Le masochisme pacifique de Honda anticipe le sadisme narcissique d’Ōshima signant Furyo, avec mauvaise conscience et sidération énamourée face à la monstruosité de l’autre, androgyne à la Bowie ou chimère-puzzle de la Préhistoire. Le devenir adouci, régressif et enfantin du géant effrayant résonne avec le destin d’un certain Freddy Krueger, muni des Griffes de la nuit (matrice apocryphe d’Edward aux mains d’argent ?), autre émanation coupable d’un passé qui ne passe pas – pédophilie, assassinat d’enfants, meurtre « en réunion » par les parents : n’en jetez plus, Mister Craven ! – née dans les songes d’un pays, et plus précisément dans une rue iconique (celle où Kennedy interpréta son petit snuff movie).
Métaphore incarnée, pure ontologie du « septième art » (funéraire), l’horreur, au cinéma, nous apprend à mourir, par conséquent à vivre, tandis que le sexe, par simple antithèse, nous montre comment aimer ; l’exorcisme ne s’interdit pas l’humour noir (Hooper) ni la jouissance du saccage de masse (succès de la vague millénaire et millénariste hollywoodienne, davantage cliente de l’apocalypse écologique), filmographie pour grands enfants pervers et bambins bercés aux affrontements dantesques du bestiaire caoutchouteux en CinemaScope (ou l’équivalent local) et couleurs. Si le noir et blanc documentaire, expressionniste, conserve une part de sérieux ouvertement mélodramatique et moralisatrice, les avatars à venir, à l’intérieur du Japon ou traversé le Pacifique, chez le meilleur ennemiaméricain, se délesteront du lourd héritage historique pour donner à corps perdu – encore – dans le son et lumière farcesque et inoffensif, sillage innombrable d’une franchisetransformant le traumatisme initial en mascotte gentiment nationaliste.
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